Quelle Stratégie pour enfin lancer le made in Cameroon?

Jean Pierre Boep
9 min readDec 16, 2020

#MadeInCameroonDay, Où allons nous? Le définir reste important.

Bien évidemment, le sujet dans lequel je me lance aujourd’hui, est vaste et périlleux à plus d’un titre. Si à l’évidence, il s’inscrit dans l’un des domaines les importants de notre avenir commun, il touche surtout au travail, aux investissements et aux espoirs d’innombrables entrepreneurs camerounais dans une économie de marché, qui ne leur est pas favorable. Je n’ai donc pas ici la prétention de donner un cours de stratégie ni de brand management. Je profite de l’occasion de ce #MadeInCameroonDay, pour proposer ici des pistes de réflexion et d’analyse sur l’angle du développement, de la promotion, de la durabilité et de la confiance dans ce concept. Ces éléments sont indispensables pour se positionner, s’inscrire durablement dans les habitudes de consommation et pourquoi pas, espérer conquérir d’autres espaces. En 2021, l’Etat du Cameroun prévoit un investissement d’environ 98 milliards de Francs CFA pour soutenir le made in Cameroon. Depuis 2020, Pandémie de Covid-19 oblige, les parlementaires camerounais ont saisi cette opportunité pour lancer un plaidoyer en faveur du patriotisme économique au travers d’une foire d’exposition sur le thème : “consommer camerounais pour promouvoir l’entrepreneuriat et valoriser l’emploi-jeune”. Il y a déjà ici à mon avis, un problème de conception du made in Cameroun et de ce qu’il peut apporter. Toutefois, cette initiative de la part des parlementaires (qui semblent avoir pris la mesure et l’importance de valoriser les produits du triangle national) est salutaire, tout comme le regard et le rôle de l’Etat sur la dynamique du made in Cameroon est fondamental. L’espoir est formulé qu’on ne puisse pas s’arrêter à des discours ni à une enveloppe budgétaire, dont les acteurs ne connaîtraient ni des mécanismes d’accès, ni la traçabilité de ce fond. Ce qui ferait très mal au développement de ce concept au moment où il a besoin d’être fortement soutenu et encadré. Nous reviendrons sur la place et rôle de l’Etat dans un projet comme celui-ci.

Pour essayer de comprendre comment agencer la stratégie autour d’une telle idée au niveau national, il faudrait s’aligner sur ce qu’est le made in Cameroon, ce à quoi il renvoie et son apport stratégique dans le développement du pays. Si ce terme est pris pour axiome, la réalité est qu’il peine à faire l’unanimité dans sa définition, sa compréhension et son objet premier chez le grand nombre. En effet, lorsqu’on parle de made in Cameroon, faisons nous allusion à tout produit ou service provenant du Cameroun et dont la promotion est assurée par ses ressortissants ? Parlons-nous de tout produit ou service, utilisant des entrants et une ingénierie de conception camerounaise ? S’agit-il de produits ou services transformés et possédant une touche camerounaise manifeste, ou parlons-nous de produits et services de nationalité camerounaise ? Vers où souhaitons nous que ce made in Cameroon nous mène en tant que peuple et Nation ? Le débat est ouvert… Et chacun se fera une idée. Jusqu’ici, cependant, l’archétype le plus partagé semble associer le made in Cameroon à tous les produits du secteur primaire qui répondraient aux besoins de base des populations et promus par des acteurs camerounais. Nous sommes donc encore assez loin d’une perception, compréhension commune de la question. Toutefois, il existe déjà une base non-négligeable sur laquelle on peut surfer et qui à l’avenir permettra de cadrer le concept et de lui donner toute sa consistante. Pour le faire, il faut clairement situer les responsabilités et les enjeux.

Premier paradigme: Construire la Marque “Made in Cameroon” et changer la perception.

Le premier paradigme à intégrer pour réussir le pari du made in Cameroon, c’est de le penser dans un écosystème nation. Cela implique une stratégie de développement, de visibilité et de changement de comportement sur la consommation des produits et services locaux. C’est ce que les parlementaires je crois, ont essayé d’appeler “le patriotisme économique”. Sauf que celui-ci doit s’appuyer sur un plan directeur national avec une stratégie de cours, de moyen et long terme. C’est une étape cruciale qui appelle la responsabilité et l’action première du Gouvernement, qui inscrit la production la transformation locale, la consommation et la promotion du terroir, comme un enjeu stratégique de développement et de souveraineté. C’est cela la première étape : construire la marque et le label Made in Cameroon. La Chine sur les dernières décennies est un exemple intéressant à observer. Profitant de sa démographie, elle a utilisé la ressource humaine abondante (bien que peu qualifiée) pour produire en masse et inonder les marchés (notamment ceux des pays en voie de développement) de produits fabriqués chez elle, tout en travaillant à changer la perception de l’offre Made in China. Ceci, s’inscrivant dans un objectif stratégique de rattraper son retard industriel. Plus récemment, un pays comme le Rwanda sortant de la guerre a aussi misé sur l’un de ses atouts phares pour transformer le pays : le tourisme. Avec une stratégie claire et des retombées déjà perceptibles. Si les forces du Cameroun se trouvent donc sur les produits sortis de la terre, des hommes et de sa diversité culturelle reconnue, il serait dommage de ne pas construire un schéma stratégique pour en tirer tous les bénéfices à long terme. Il faut donc penser ce concept avant tout comme une marque nationale, comportant les ingrédients de nos diverses identités, d’un savoir-faire et d’une ingénierie assumée, qu’on épouse, vend à nos voisins directs et exporte plus loin. C’est la signature Cameroun au travers de ses produits qu’il faut défendre, c’est presque une idée disruptive de développement à faire accepter localement et à l’international.

Construire le brand “made in Cameroon” passe forcément par là. On peut imaginer que différents services de l’Etat travaillent ensemble pour définir les normes, classer les produits et services par type, garantir le label qualité de tous les produits sortant au travers d’un badge, d’un hologramme, pour rassurer la consommation. En clair, le rôle de l’Etat sur cette question est primordial et il faut militer pour que cette vision voit le jour. Parce que l’enjeu central ici est un enjeu de perception sur nos propres produits. Cette perception aujourd’hui majoritairement négative, ne peut évoluer que dans le cadre d’une sorte d’union sacré autour d’une politique projectionniste des biens et services made in Cameroon. Cela obligerait l’administratif, premier client, à changer ses propres habitudes de consommation. Si les bureaux de la fonction publique sont faits à partir du bois camerounais et d’un savoir faire local, on trouverait dans ce seul exemple, de quoi gagner 5 ans d’avance sur la perception positive. On peut bien-sure retrouver d’autres exemples dans bien d’autres secteurs : le textile, les boissons (vins, jus et spiritueux), l’agriculture, la technologie, etc. Tous ces domaines sont à prendre en compte dans la dynamique de changement de perception autour de la consommation locale et du chemin qu’on souhaite lui donner. Conforter ce paradigme permettrait de donner aux entrepreneurs actuels matière à espérer parce que favorisés par une nouvelle dynamique désormais tournée vers une consommation locale.

Deuxième paradigme: Peut-on miser sur le secteur privé seul?

Des produits ou services made in Cameroon il en sort tous les jours et de plus en plus. Ce qui est excellent, lorsqu’on est dans un marché naissant. La problématique des acteurs entrepreneurs du secteur est bien souvent de parvenir à sortir sur le marché un produit de qualité, bien souvent avec peu de moyens. Dans ce rapport entre acteur et consommateur final, il se pose bien souvent la difficulté de l’accès au produit, de la garanti qualité (fort importante) et de sa constante disponibilité. Nous sommes dans des productions non-industrielles pour la plupart, avec des entreprises pas toujours clairement identifiables et traçables (ce qui joue sur la confiance). Il revient aux promoteurs de régler cette dissonance et de sortir de la posture qui attend du consommateur un sursaut patriotique dans la consommation. Nous l’avons dit plus haut, ceci ne peut rapidement changer que si une dynamique plus globale et inclusive est enclenchée et portée par les pouvoirs publics. En attendant, quelle stratégie mettre en place pour continuer d’exister et positivement influencer les consommateurs ? À ce jeu, le secteur privé peut-il seul s’en sortir ?

Premièrement lorsqu’on regarde le tissu économique autour du made in Cameroon, on parle de jeunes ou très jeunes entrepreneurs, avec les contraintes financières qui vont avec leur statut. Je doute donc fortement que sans une politique clairement orientée sur le développement du made in cameroun, ces entrepreneurs puissent faire valser la tendance. Tendance à la fois de la consommation, mais surtout face au dilemme d’une économie ou les rois restent les grandes enseignes distributrices qui exportent et commerciales des produits de même nature mais avec un avantage concurrentiel qui depasse toute logique. Ces produits importés, sont présents dans l’esprit du consommateur comme premier choix, du fait de la publicité et du marketing autour, qui sur le long terme finissent par conditionner nos habitudes de consommation. C’est un élément non-négligeable et à prendre en compte lorsqu’on lance un produit dans ce segment d’activité. Mais alors, comment les acteurs peuvent-ils y arriver lorsqu’on manque de moyens financiers pour rivaliser sur le marketing? On entre dans un partenariat et la politique des grands distributeurs qui se positionnent desormais en relais direct du made in Cameroon. Ceci avec ses avantages et ses inconvenients. Le plus grand des inconvénients étant celui de tuer les marques locales peu fortes, au profit du développement du branding de l’enseigne distributrice et de ses produits importés. OUI, C’EST AUSSI CELA L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ. Nous comprenons donc ici que la marge de manœuvre reste très faible pour le promoteur d’un produit made in Cameroon. Et on peut comprendre pourquoi bien souvent le seul recours qui reste en terme de discours, c’est demander un sursaut patriotique vis-à-vis des produits locaux. Sauf que l’économie de marché a pour prolongement l’économie de la perception et c’est la boucle négative qui se referme sur l’entrepreneur; le condamnant à des actions de proximités qui ne permettent pas de toucher efficacement une cible et de lui communiquer de la valeur sur le long terme.

Le consommateur pourra-t-il sauver le Made In Cameroun?

Dans ce schéma aux allures presque chaotiques, que reste-t-il à faire pour espérer sortir son épingle du jeu et imposer la danse d’une vision locale des produits du Cameroun ? Si les plus pessimistes disent que c’est perdu d’avance, je pense toutefois qu’on peut parvenir à renverser la tendance de la perception et donc de la consommation des produits locaux, si on multiplie les chaînes parallèles de distribution à étiquette made in Cameroun. Sawa food, Penja land, Terific coffee etc. On peut parvenir à créer un cercle vertueux de consommation dédié au made in Cameroon qui ne serait pas pollué par des produits ne rentrant pas dans ce cadre. La mondialisation impose une cohabitation avec des enseignes de grande distribution. Il faudra compter avec elles. Mais la multiplication des points exclusifs aux produits du terroir contribuera à plus de visibilité et plus de crédibilité. Une autre approche serait de ne pas faire du made in Cameroon pour le made in Cameroon mais de cibler les produits de niche et donc de s’adresser à une cible qui n’attend que cela.

Du côté des promoteurs, il est indispensable de comprendre la force que représente le marketing lorsqu’on s’engage sur un terrain ou on part perdant vis à vis de la perception. La communication à ce moment, doit s’articuler plus pour développer l’image de marque de ce qu’on produit, afin de toucher les consommateurs dans leurs émotions, plutôt que de simplement brandir le slogan “produit made in Cameroon”. Comprendre que chaque produit doit avoir sa stratégie individuelle tout en s’inscrivant dans une dynamique collective. L’objectif étant de créer des alternatives locales à tous les autres produits pour donner le choix au consommateur et en faire un allier sur le parcours client. Alors oui, je pense que consommateur à un rôle à jouer, mais il ne sauvera pas le made in Cameroon. Tous les espoirs ne peuvent être fondés sur sa capacité à changer sa perception tout seul. Ce processus prend généralement du temps et est aidé par une dynamique d’ensemble et un marketing savamment orchestré pour produire ce changement. Aujourd’hui, nous n’en sommes pas là. Le made in Cameroun est à ses premiers battements et il est important de penser à des stratégies qui ouvrent un horizon large à ce concept et permet véritablement à ses acteurs de s’exprimer et se déployer. Ceci passe nécessairement par le fait de concevoir le made in Cameroon comme un projet nation et de lui donner les moyens structurels de son déploiement. De favoriser l’organisation des acteurs pour créer des chaînes de valeurs positives à label made in cameroon qui transformeront progressivement les attentes des consommateurs.

Jean Pierre Boep

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